Mon premier blog

Pour l'avant-dernier concert de sa saison, Jazzdor se mettait au vert le samedi 26 mai dernier hors ses murs au Lieu D'Europe pour ce concert de Hochstapler (Louis Laurain, trompette / Pierre Borel, saxophone alto / Antonio Borghini, contrebasse / Hannes Lingens, batterie), groupe fort européen puisque franco-italo-allemand,

Free sous tente (voulu par les musiciens), ou sur transats à l'extérieur, à l'aveugle dans ce cas sans les voir!

Dès les premières notes, le saxo Pierre Borel m'étonne, bruissant su souffle en slap tongue, en l'on croirait entendre sans le voir les balais sur la batterie! Le contrebassiste Antonio Borghini mélodise à l'archet, tout en se déplaçant, avec son encombrant instrument, plus grand que lui, de part et d'autre de la batterie d'Hannes Lingens, tandis que la sourdine du trompettiste Louis Laurain tombe lourdement au sol quand il n'en a plus l'usage!

Je n'ai jamais vu prendre autant de liberté avec la mise en place supposée et les conventions.

Je n'ai jamais entendu non plus de tels sons sortir d'un saxophone non électrifié (ce qui exclut Eddie Harris ou Michael Brecker), et de plus le voilà qui demande un jeu de dés au hasard!

Puis Borel siffle en oiseau sur la contrebasse qui slappe ses cordes latéralement, tandis que la batterie clapote des baguettes avec vivacité. Puis Borel snappe, claque des doigts, rythmant le déplacement du contrebassiste, qui arrivé à son but, reprend au vol le sifflement de l'oiseau Borelal en duo par dessus la batterie qui les sépare!

Le trompettiste bruite en staccato d'une attaque de lèvres non conventionnelle. Les vitesses variables sont accélérées ou ralenties par l'un ou l'autre à l'envi par l'un ou l'autre!

Le saxo taxiphone Bluiettement (à la Hamiett Bluiett.

Borel enlève et remet la sourdine du pavillon de Laurain alors qu'il est en train de jouer!

Ils semblent s'échapper les uns des autres pour se retrouver parfois tout de même comme involontairement, surtout saxo etg trompette, et cela met alors quelques riffs Bop dans ce monde de Free.

Quelques appels taxiphonants rappellent de loin en loin les klaxons, sifflets et sirènes de la version d' A Foggy Day dans le trafic de San Francisco de Charles Mingus (qui l'avait joué de façon plus conventionnelle avec Hazel Scott.

Leurs dissonances intervertibles se complètent réciproquement, chacun jouant à tour de rôle la mouche du coche, l'élément perturbateur les empêchant de tourner rond, ou en rond, ce qui les intéresse modérément!

Borel tourne en rond sur lui-même tel Thélonious (plus comme cela) ) Monk (qui dansait aussi vraiment aussi parfois).

Ils remplissent l'espace comme aucun autre groupe.

La contrebasse turbine sur les roulements de batterie.

Le trompettiste Laurain rejoint Borel pour de complexes riffs bop (un peu à la Ornette Coleman première manière) et ils jouent alors tous ensemble de concert un instant.

Mais le contrebassiste s'ennuie vite de cette routine. Il quitte son poste, disparaît (pour aller faire pipi comme Monk avec Miles sur The Man I Love 1)? Ils ne se détestent pas comme eux, s'amusent davantage, il revient avec un transat, monte sur scène (ils jouent devant la scène), mais n'arrive pas à le monter (ils ont les mêmes aux Docks Malraux, ce n'est pas évident quand on ne comprend pas) et reste sur scène immobile!

Pendant ce temps, Borel a un bon rôle rythmique de remplacement dans ce trio Free au saxo bientôt out, sax haut monté sur scène, et contrebassiste passé à l'avant-scène, trompette pistonnant à vide et batterie à vide également. La trompette de Laurain n'est pas loin par moments de celle de Don Ayler derrère son frère Albert Ayler. Tous jouent la même note un peu plus bas sur la batterie.

Tout cela est joyeusement free. Le contrebassiste installe deux peaux de tambours sur scène dont il ne sera fait nul usage, puis redescend accélérer la chose, tire les cordes presque à les arracher vers la droite, puis part en walking bass sur la trompette rappelant l'intro de Chet Baker à «There Will Never Be Another You» avec un son similaire quelques instants.

Mais le saxo intercale des notes tenues puis les prolonge en marchant. Batteur et contrebassiste se désolidarisent du groupe et roulent leur clope. Pause syndicale méritée ou avis de grève?

Pour sauver le concert, Laurain dit: « Je vais encore vous jouer quelque chose! Qu'est-ce qui vous ferait plaisir?» Par provocation, un photographe crie «TOUT SAUF DU JAZZ!» puis se reprend «je plaisante!». Il vaut mieux ne pas les pousser sur cette pente, ils seraient capables de tout!

Du coup Laurain opte pour un style animalier et souffle à vide comme une baleine, puis industriel en immersion, utilisant sa main sur les pistons à la manière d'une salle des machines de sous-marin, puis le saxo snappe des doigts. Je n'ai là aussi jamais entendu ou vu de trompette si intéressante (musicalement ce n'est pas du Taylor Ho Bynum!) produite avec si peu ou une telle économie d'effets. Calmé, Borel fait son Lee Konitz ou son Jimmy Giuffre// joue Free sur la contrebasse puis la batterie qui ne fument pas leur clope, le batteur l'a mise derrière son oreille et le bassiste craint peut-être l'incendie!

Là ça groove presque, ça fait sens ou du moins geste, acte commun, entente et écoute, tout de même! Le saxo joue sur les clés à vide, fait rythmique, la trompettremble, la batterythme et la basselappe, là ça groove bien!

Le batteur joue avec un petit marteau de commissaire priseur de salle d'audience (ça existe les commissaires priseurs enfants? Ça m'étonnerait que des enfants rêvent d'enchères ou je les plains! Pourquoi pas juges pendant que vous y êtes?)!

Saxo puis trompette se reprennent le plus vite, le contrebassiste s'est exilé au fond de la tente.

Soudain le trompettiste a disparu, le contrebassiste de retour sur scène arrive enfin à monter le transat, mais s'exerce à NE PAS s'y asseoir, reste bloqué (ça doit être douloureux!), reste bloqué, tremblant, prostré à quelques centimètres du transat sans s'y laisser tomber, un supplice de Tantale infligé au repos de son postérieur, mais il n'est pas à la plage tout de même! Devant la scène explose un fracassant solo de batterie! Le trompettiste revient au ralenti par la porte.

Le saxo est sur scène mais ne joue pas, au fond de l'estrade.

Die Hochstapler signifie Les Imposteurs (on se demande de quels modèles), ils ont amené leur avant-dernier CD dont il ne reste qu'un seul exemplaire The Braxtonnette Project qui sera adjugé aux enchères avec le marteau de comMINIssaire priseur et finissent par un titre qui n'est pas sur leur deuxième album (ç'eût été trop simple et pourquoi l'acheter dans ce cas?) Die Hochstapler Play The Music of Alvin P. Buckley, (un penseur indépendant de Chicago dont l'oeuvre n'a été révélée que récemment et dont ils restent la seule occurrence sur la toile!). Le trompettiste part en roue libre sur un cri du saxo, puis ils esquissent un Night In Tunisia avortée par accélération du tempo. Mais sils seraient plus proches de Leap Frog des mêmes Parker et Gillespie ou ont dépassé depuis longtemps ces vieilles références pour créer les leurs ou refuser de le faire pour conserver leur liberté!

C'est un spectacle tenant autant du théâtre happening que du Free Jazz, mais j'ai rarement autant apprécié un spectacle sans presque rien y comprendre, si tant est qu'il y ait quelque chose à comprendre!

Jean Daniel BURKHARDT

Photos  Patrick Lambin

A partir d'aujourd'hui 5 juin  Jazzdor Berlin

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