Dans cette pièce Four For d’Halory Goerger coréalisée par Musica et le Maillon , Morton Feldman, compositeur de musique minimaliste, est dans le coma, en train de mourir en 1986 d'un cancer de la prostate!

On ne voit de lui qu'un cercueil ou une caisse noire laquée et l'écran où s'affichent ses constantes vitales ou cérébrales de l'hôpital et son espace mental: un sol de moquette ou plumes, un piano droit, parfois mécanique, surmonté de quatre octogones noirs ùu sont inscrits des choses, la télévision de sa chambre crachotant de mauvaises images des années 80, parfois d'illustration du propos! Un chamane (joué par l’auteur (dont voici une interview sur l'homme en animal musical et sa pièce) a voulu le rejoindre dans son espace mental, passionné par sa musique, après une chute au musée du Louvre, a l'aide de drogues psychotropes entre mescaline, peyotl et ayawhaska mais  est tombé son tour dans le coma d'un point de vue médical ou dans son espace mental de son propre point de vue! Le chamane se souvient du « palais de Mari »   (ou de Zimrî-Lîm, en Syrie, ou il a construit un piano pour cette déesse avant l'arrivée des archéologues lécheurs! En réalité après sont venus les terroristes islamistes qui l’ont occupé et il a été très endommagé.

Pendant ce temps, une femme, muette, vêtue de noir a l'orientale joue l'une des dernières œuvres de Feldman, « le palais de Mari »  extrait de ses Last Pieces qui me fait penser aux « Peacocks » de Jimmy rowles) en minimaliste répétitif, le piano mécanique finit seul! Le chamane (ou Feldman) dit qu’il faut « laisser libre le temps, lui laisser le temps, avant qu'on mette ses sales pattes dessus »!

La chef de service des soins palliatifs de l’hôpital de Buffalo où Feldman vivait et est mort, concrète,  parfois brutale  ou cynique, voire sadique quand elle tord le bras pour montrer les atteintes du cancer, jouant de l'électro au synthé modulaire,  fait venir un musicothérapeute  pour les faire revenir mais ils se retrouvent tous coincés dans l'espace mental ! Ils ont des objectifs et des discours différents : l'infirmière veut continuer son protocole de soins palliatifs, le chamane parle déjà du «  grand voyage » et veut sortir avant, le musicothérapeute s'y trouve bientôt et heureux et veut y rester! Cette différence a un effet comique, c'est  drôle aussi, plus que la vidéo teaser!


Le cancer a fait pousser des monolithes noirs acérés très esthétiques !

Le chamane, pour stimuler Feldman ou le soulager, fait jouer « Imaginary Landscape N° 1 »   la première pièce de John Cage qu'il découvrit adolescent en 1939 et une pièce de Cage  sur un texte d' E E Cummings (ici par Robert Wyatt  (je précise que pour moi qui aime surtout « Amores »   de Cage, ces pièces sont tout à fait écoutables), ce qui le stimule un peu intellectuellement.

Feldman  devint l’élève et l’ami de Cage, rencontré à un concert d’une Symphonie de Webern, et Feldman emménagea au rez-de-chaussée de son immeuble, puis, âgés, on entend aussi dans la pièce les voix de Cage et Feldman à la radio en 1966 et 1967  plaisantant sur le fait que les jeunes, fatigués de rhétorique, ne se disent plus « bonjour » et « au revoir » (j’ai retrouvé le passage ici) pour ne plus rien se dire entre les deux! Cela me fait penser à l’extrait des « Visions de Cody » de Kerouac que Ginsberg dans sa préface, appelait « La mort du sourire américain ».

Finalement le cercueil peut faire de la musique comme un theremin en aoprochant/éloignant les mains et ils en jouent! L'infirmière dit que cela ressemble à du Éliane Radigue, une compositrice née en 1935 pionnière  de l’électro dont elle a enregistré une cassette à une collègue, qui serait la voie de sortie musicale possible entre le révolutionnaire de Cage et le dernier classicisme Feldmanien !

Entre Cage et Radigue, Feldman est donc replacé entre son influence et une héritière actuelle!

Le chamane finit par lire les octogones : il faut plonger dans le « puits » pour sortir: il y a en effet un trou (miroir je pense concrètement) dans les plumes ou la glace, la moquette! Je ne vous spoilerai pas la fin, je me suis endormi et ai été réveillé par les applaudissements !

Le texte est émouvant qu’émouvant (celui du chamane sur Mari notamment) et fort, parfois drôle quand ils se disputent ! Fourr for se joue encore ce soir au Maillon a 20 h 30!

Jean-Daniel BURKHARDT