Après l'entracte et un verre de l'amitié, l'ouverture du 32ème Festival Jazzdor se poursuivait avec le groupe du trompettiste sarde Paolo Fresuet son  Devil Quartet, plus électrique, sans Ralph Towner, mais avec Bebo Ferra à la guitare électrique, comme toujours coiffé d'un béret kangol Guevariste, Paolino Della Porta à la contrebasse et Steffano Bagnoli à la batterie.

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Ils commencent très calme avec «Ambre», ballade qui ferme leur album «Desertico» de 2013, avec une trompette montant stratosphériquement quand il joue vers le haut, en prolongeant le son par ses effets sur la magnifique guitare acoustique de Bebo Ferra, puis Fresu passe au bugle avec un son à la Chet Baker dans les fins de note sur des percussions de Bagnoli et la basse slappée Della Porta.

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Ils continuent avec Moto Perpetuo extrait de leur premier disque «Stanley Music!» en 2007, joué au bugle, plus rythmé sur une guitare obsèdante plus funky à la Santana ou Herbie Hancock, avec un rythme hispanisant à la «Olé» de Coltrane mais citant aussi les riffs en trilles de «Bebop» de Dizzy Gillespie avec Charlie Parker.

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Le Devil Quartet est d'une électricité plus funky que l'Angel Quartet, autre groupe électrique plus Rock de Paolo Fresu avec Nguyen Lê à la guitare, et il y utilise plus les effets électros ou son sampler. A la base, je n'étais pas fou de ses effets, mais avec le temps, il l'utilise de manière plus musicale pour changer le son de sa trompette et de son bugle, leur donner comme Miles Davis en son temps dans Bitches Brew des effets électriques ou saturés, mais d'une manière plus électro-acoustique qui le rapproche aussi de Chet Baker dans le même environnement électrique. Ce qu'ajoute Fresu, c'est un son liquide, presque ambient et de magnifiques harmonies avec son groupe entre son live et résonnances du son d'effets utilisé comme Herbie Hancock son clavier!

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Autre moyen de changer le Jazz et ses formes, le Medley de Game Seven et Elogio Del Discanto, mélangeant deux compositions. Après un solo de batterie, la vitesse se rapproche plus de Miles mais ménage aussi des creux émotionnels entre guitare et bugle à la Chet Baker finies à la Bitches Brew, mais on y croise aussi le Freddie Freeloader, fan de Miles qui voulait voir ses concerts gratuits (free) ou selon Ian Carr un barman de Philadelphie qui rendait des services aux musiciens, du premier quintette du Miles acoustique de «Kind of Blue» où Wynton Kelly remplace Bill Evans au piano avec Cannonball Adderley et John Coltrane aux saxophones.

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Paolo Fresu arrive à concilier la dureté de Miles et la tendresse de Chet qu'on eût pu croire inconciliables.

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En hommage à Chet Baker, Paolo Fresu raconta une belle anecdote: lors d'un concert à Lucques, on lui donna sa chambre den dernier après le groupe, chambre 15 à l'Hotel Universo. Il envoya quelques mails, puis regarda la fenêtre, et au dessus du lit vit une photo de Chet Baker devant la même fenêtre. Victime des paparazzis dans une station service, il fut arrêté pour possession de drogue. Il y avait passé sa dernière nuit de liberté avant la prison en 1961. Comme à chaque fois, il mit ce séjour à profit, cette fois pour apprendre l'italien, comme aux États-Unis pour apprendre à jouer au basket avec les détenus noirs. A sa sortie il enregistra «Chet is Back!» pour la BO d'un film où il devait jouer après sa sortie. Interrogé sur l’inconvénient de la drogue, Chet répondit un jour «La drogue n'a qu'un seul défaut:le prix!»

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Paolo Fresu passa une nuit blanche dans la chambre de Chet Baker.

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En hommage à Chet Baker, ils jouèrent «Blame It On My Youth». Évidemment, Chet chantait aussi, presque de la même façon, à peine plus éraillée avec l'âge. J'ai écrit il y a des années un article sur Chet Baker et Billie Holiday: tous deux ont souffert, mais on croirait musicalement qu'elle passait sur lui comme de l'eau, sans l'atteindre. Paolo Fresu nous done l'émotion de Chet Baker, mais l'effet psychédélique n'est dû qu'à ses effets électro-acoustiques, ce qui lui permet de ne pas partager son destin tragique, et à nous de l'entendre pour encore très longtemps.

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Pour en finir avec Chet Baker et Strasbourg, il fut indirectement responsable de l'éviction du Hot Club de Strasbourg des Hot Clubs de France par Hugues Panassié qui détestait le Cool Jazz et le Jazz moderne dans les années 50s. On en trouve mention dans les Chroniques du Jazz de Boris Vian (qui détestait lui aussi Chet Baker) en janvier 1956: Exclusion. Le Hot Club de Strasbourg est exclu du H.C.F. Motif: organisation d'un concert de Chet Baker (qui jouait à Rome avec Jean Louis Chautemps  et chantait déjà de sa voix si ingénue depuis son séjour parisien prolongé (il y avait perdu son pianiste Dick Tardzwick, mort d'une over-dose) en Italie et à son retour aux Etats Unis avec Russ Freeman.

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Boris Vian continue par ce récit imaginaire hilarant dudit concert que je ne résiste pas à vous copier (page 327 des Chroniques de Jazz en 10/18): «Et allez donc! De vrais petits adjudants ces gens du heuceufeu.

Et avec le motif, m'comprenez. Mais Pana. Pavre khruche, t'as donc pas compris que le Hot-Club de Strasbourg avait tout prévu pour zigouiller Chet Baker sur scène! Tout était prévu. Au milieu du concert, une ouvreuse complètement nue arrive avec un grand panier d'orchidées à trois francs en criant «Demandez nos délicieuses saucisses chaudes!» (il y a un jeu de mots terrible mais j'ai pas encore compris lequel). Bon. Chet Baker s'arrête, interloqué, et il avale son embouchure (on l'a graissée subrepticement avant le concert). Bon. C'est rien, on n'a rien vu, l'attention était distraite par l'ouvreuse. Un joueur de vielle prend la place de Chet Baker et commence de jouer Ah les petits pois pendant qu'un médecin marron (la revanche des Noirs) opère d'urgence Baker à la manière de Fernand Reynaud). Bon. A ce moment-là, tollé général, l'ouvreuse sort. Break de batterie (on n'entend rien mais on sous-entend un truc à vous couper le souffle), Baker est recousu, recommence à jouer et s'effondre, abattu d'un coup de hache par le joueur de vielle qui éclate d'un rire démoniaque (c'est Paul Léautaud!)

Avoue que c'était bien combiné. Ah Pana, tu me fais de la peine! Que tu me fais de la peine!»

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Enfin, peu avant sa mort, Chet Baker s'était produit au Lazy Bird, Club de Jazz qui se tenait à l'endroit du Café des Anges et était tenu par Phillippe Ochem, directeur de Jazzdor! Simon Pomarat y était!

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Le titre suivant commence sur une bonne contrebasse et des effets de guitare électrique, puis une trompette aigrelette et magnifique qui monte à la Miles 70 80 dans «Splatch», avec Fresu qui se tend vers l'un ou l'autre des musiciens pour jiuer avec eux, et la contrebasse a aussi un côté Nana Vasconcelos au berimbau, et Fresu envoie ses riffs, prolonge ses déflagrations Hendrixiennes d'effets  et la guitare reprend sa note au vol et la fait aller plus loin dans l'électricité.

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Chet avait aussi ce fantasme de l'électricité, il a toujours voulu «jouer dur» comme Miles.

Il y a magnifique monologue dans «Chet» d'Alain Gerber où le pianiste Tadd Dameron qui lui dit: «Tu es aussi dur que Billie, vieux. On dira que vous êtes deux verres de cristal. Attention: fragile! Tu n'es pas un verre de cristal, en fait. Tu es en train de te fabriquer, crois-tu, une espèce de cuirasse. Ta vraie chance, c'est qu'il y a une paille dans le métal, et que tu n'y pourras jamais rien. Tu peux rajouter plaque sur plaque et garnir le tout de pointes effilées: qu'est-ce que ça changera. Demande-toi si ta force ne serait pas plutôt dans ce défaut. Toi, tu t'évertues à étaler une couche de «dureté», comme tu dis, sur ce que Dieu a mis en toi. Mais il suffit de gratter du bout de l'ongle, et c'est la beauté qui apparaît, une beauté aussi douce et limpide que la lumière du matin, aussi douce et déchirante que la lumière du soir. Si tu t'épargnes la peine de la camoufler, es-ce que ça ne rendra pas la situation plus claire pour tout le monde, et pour toi en premier lieu?»

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Il fait aussi avouer à Chet dans les années 80s: «Le problème avec Miles, c'est qu'il voulait toujours être ahead, ainsi qu'il l'avait proclamé dans un de ses titres: en avant de tout le monde, et, à fortiori, loin devant le Miles qui avait été à la pointe du progrès dans un âge d'or que lui-même s'obligeait à considérer comme une période révolue.»

N'empêche que Chet écoutait «Tutu» de Miles sur son walkman!

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Paolo Fresu rendit un autre hommage à Federico Fellini dont il apprit la mort il y a 25 ans avant de monter dans un train de Florence pour Bologne où il composa cette ballade mélancolique et magnifique qui rappelle plus la trompette de La Strada que la musique festive de Huit et Demie.

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Ils terminèrent ce concert par un thème dédié à leurs enfants respectifs.

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Jean Daniel BURKHARDT

Photos  Patrick Lambin


Jazzdor la saison continue demain soir avec:

Deep Ford + Laurent Stoutzer "Praxis"

Visuel concert

· Organisé par Jazzdor
Le trio Deep Ford résulte de l'envie d'une musique percussive et horizontale, d'une vaste palette sonore. Le son habité du saxophoniste Robin Fincker s'associe au jeu de préparations si singulières du pianiste Benoit Delbecq et à la mécanique précise et tranchante du batteur Sylvain Darrifourcq, se fraye un passage au milieu de l'intense mécanique de cordes et de peaux frappées.
avec Robin Fincker, saxophone ténor / Benoit Delbecq, piano / Sylvain Darrifourcq, batterie

https://youtu.be/WFcu3Cg9bPo

Le quartet Praxis du guitariste Laurent Stoutzer propose une étrange combinaison entre musique afro-américaine, jazz européen, musique classique et contemporaine, répétitive et électro-ambient. Un dialogue constant et énergique, entre univers acoustique et multitude d'objets électroniques. Praxis groove tout en cultivant l'art du mouvement furtif, imprévisible, tempérant, avec la science du camouflage et de l'esquive.

Avec Laurent Stoutzer, guitare / Bruno Angelini, piano / Arnault Cuisinier, contrebasse / Luc Isenmann, batterie

https://youtu.be/qPTbKxA_aug