En 2010, le Strasbourg Jazz Festival invitait pour sa soirée de clôture le trio de Pierre Christophe accompagné des américains Ronald Baker, trompettiste et chanteur noir et Jerry Edwards, tromboniste blanc pour un programme « Jazz At The Philharmonic ».

Les musiciens de Jazz éduqués de première main à la source même par les maîtres afro-américains se font rares, mais le trio de Pierre Christophe est de ceux-là. Pierre Christophe vit des stars du Jazz (Art Blakey, Joe Henderson, etc...) à Aix-En Provence, et découvrit à 18 ans « Fuschia Swing Song » de Sam Rivers et fut séduit pianiste Jaki Byard, capable de jouer tous les styles de Jazz du ragtime au stride, au swing dont il connut Fats Waller, au Bop dont il accompagna Charlie Parker et imitait Monk et Bud Powell, au Hard Bop comme sideman de Mingus (The Black Saint & The Sinner Lady), EricDolphy (Far Cry) et Rahsan Roland Kirk (Now Please Don’t Cry, Beautifull Edith), donc jusqu’au Free Jazz, soit des origines à la modernité!

Obtenant une bourse, Pierre Christophe reçut pendant quatre ans l’enseignement de Jaki Byard à New York et jamma avec lui jusqu’en 1995. Mais Jaki Byard fut assassiné ou se suicida, retrouvé en 1999 chez lui mort une balle dans la tête sans trace d’effraction.

Le batteur du trio, Mourad Benhammou est fan de Walter Perkins, grand batteur ignoré du Dictionnaire du Jazz et l’interviewa après l’avoir retrouvé dans les pages jaunes de New York, et joue sur une caisse claire qu’il lui légua à sa mort. Quant au contrebassiste Raphaël Devert , il l’un des derniers bassistes à jouer non amplifié et admire George Tucker. Après des débuts difficiles, le trio  a gagné des prix en 2006 et 2007 (Django d’or) pour ses trois disques sur la musique de Jaki Byard et est le seul trio français à pouvoir rivaliser pour l’ampleur du répertoire des standards avec ceux d’Outre Atlantique (300 standards à leur répertoire !).

Ils commencent par Blues March d’Art Blakey, puis une ballade d’Alain Mayeras avec qui joue Ronald Baker, I Call Her, chantée en crooner à la Kurt Elling en moins apprêté par le trompettiste.

« Jazz At The Philharmonic » oblige, ils jouèrent « Lady Be Good » de Guershwing, standard sur lequel Charlie Parker et Lester Young avaient improvisé lors de la première JATP en 1946, Ronald Baker chantant le solo de Bird dans la version vocalese d’Eddie Jefferson.

Pierre Christophe et son trio continuent de rechercher la compagnie de héros du Jazz disparus, comme Butch Warren, contrebassiste de Thelonious Monk, retrouvé après plus de cinquante ans d’absence, auteur d’une composition magnifique dédiée à Barack Obama avant son élection. 

Ronald Baker reprit une composition de Dizzy Gillespie qui m’était inconnue, et ils finirent en bis par « Don’t Get Around Much Any More » de Duke Ellington.

Heureusement que de tels musiciens existent encore pour nous rafraîchir la mémoire et faire vivre le jazz !

Que dire d’Al Jarreau ?  A 70 ans, ce chanteur Jazz Soul RNB Funk est le seul à avoir depuis ces années-là  remporté un grammy dans chaque catégorie et par décennie.

Mon album préféré ou celui que mes parents avaient était  Breakin' Away et je me souviens encore de sa veste rose!

Et j'adorais "Roof Garden"! 

A le voir sur scène, il est complètement fou et le revendique (son saxophoniste et directeur musical Joe Turano est son médecin pour cette raison !), salue un enfant et Pierre Christophe avec une spontanéité confondante qui semble être son état naturel.

Son groupe funky chante les chœurs derrière lui comme workshop vocal permanent à la Leon Parker. Tout cela semble improvisé (, plus naturel et candide dans l’aigu qu’un Michael Jackson, et Jarreau s’y révèle le chanteur de Jazz aux vocalese les plus naturelles, le plus Soul des chanteurs de funk, le plus funky des chanteurs de R’N’B , le plus R‘N’B des chanteurs de Pop , et vice versa l’un dans l’autre et dans tous les sens bien entendu, avec une confondante humilité, alors qu’à l’entendre, on voit bien qu’il a inspiré tous les chanteurs depuis quarante ans, sans être jamais imité ni égalé, et tout en restant cette source musicale coulant d’un flot naturel, comme si tout en lui était musique, dépassant mots, langage et technique, répertoire et compositions. Il était l'une de l'un de ceux qui nous prouvaient que le Jazz pouvait être pop, et funk!

Sa dernière tournée était passée par Wolfi Jazz!

Jean Daniel BURKHARDT