En seconde partie ce dimanche 6 novembre on pouvait entendre la création après Jazz Sous les Pommiers du BrotherHood Heritage  au titre de l’AJC dont le festival Jazzdor fait partie, rendant hommage au Brotherhood Of Breath du pianiste Sud Africain Chris McGregor des années 80/90s (à l’époque composé de Louis Moholo, Harry Miller, Mongezi Feza, Dudu Pukwana et occasionnellement Johnny Dyani ainsi que de nombreux musiciens de free jazz ou d'avant-garde qui résidaient à Londres à la même époque: Lol Coxhill, Evan Parker, Paul Rutherford, Harry Beckett, Marc Charig, Alan Skidmore, Mike Osbourne, Elton Dean, Nick Evans, Radu Malfatti et John Surman) avec François Raulin piano, Didier Levallet contrebasse, Chris Briscoe saxophone et clarinette, Raphaël Imbert saxophones, François Corneloup saxophone baryton, Michel Marre et Alain Vankenhove trompettes, Jean Louis Pommier et Mathias Mahler trombones et Simon Goubert batterie !

 

Simon Goubert et les cuivres commencent à l’unisson de leurs sourdines, puis il entre dans le rythme Sud Africain dansant des percussions sur la cymbale charley entre les deux trombones, dansé par les trompettes et funkysé par les anches  des saxophones, et rapidement Vankenhove part en solo de trompette free.

La qualité du Brotherhood Of Breath de Chris Mc Gregor, et de cet orchestre qui en reprend le répertoire est de permettre autant au collectif funky qu’à l’individu free et à la joie autant qu’à la révolte de s’exprimer!

S’il y a une différence, c’est peut-être chez l’Heritage plus de Swing que de Groove chez ces Européens, mais tout de même de bons fonds sonores Swing Westcoastant fraternellement chez les saxos, tandis que les trombones soutiennent du geste  NON OUI  de la tête.

La bonne basse de Levallet soutient le trombone de Mathias Mahler sur le rythme Africain de Goubert (qui ayant beaucoup joué des rythmes Africains comme sideman jazz est donc le batteur idéal pour ce projet).

On retrouve dans les coulisses du trombone l’outrance tonitruante du barrissement d’éléphant, rejoint par le second trombone, les saxes et jusqu’au baryton, son équivalent en puissance, enflant progressivement jusqu’au climax rythmique brillant présageant un changement de rythme puis un solo de saxo Rythm’N’’Blues sur un piano à la Dollar Brand, puis le saxo part à son tour en free, pousse jusqu’au cri, rejoint par le growl des cuivres, modulé dans le final des anches, la machine marmite (pas loin de la Marmite Infernale de l’Arfi (Association de Recherche de Folklores Imaginaires)  issu du Workshop de Lyon où débuta Louis Sclavis aux tuyaux en 1979 qui avait été invitée avec le Nelson Mandela Choir Sud Africain pour un final de Jazzdor) des saxos redémarrant peu à peu la Loco Locomo LO CO MO TI VE d’Or de Nougaro en hommage au batteur Kenny Clarke ()!   

C’était « Andromèda », composé par la fille de Chris McGregor qui vit en France, suivi d’une pièce composée par Chris McGregor il y a 10 ans.

En effet, comme l’a prédit Alex Dutilh à Open Jazz, ce concert promet, pas autant que l’original Brotherhood of Breath mais tout de même !

La seconde pièce "Chris McGregor" de François Raulin commence par un piano magnifique, suivi du bugle de Michel Marre, suivi et doublé de la trompette de Vankenhove dans les résonances des cymbales aux balais soutenues par les anches en une magnifique progression. C’est une très jolie ballade du Brotherhood Of Breath avec solo d’alto avant que les trompettes ne fuguent dans l’aigu. François Corneloup (complice de Raulin qui fut son pianiste pour Frégoli qui lui rendit la pareille pour Trois Plans Sur la Comète) est toujours l’un des plus efficaces barytons français, meilleur encore quand bien soutenu rythmiquement comme avec Ursus Minor ou comme ici en Big Band (je ne crois jamais l’avoir vu en aussi grande formation, mais en solo il peut être insupportablement bruitiste!), et rappelle ici les puissantes lignes de baryton du « Moaning » de Charles Mingus, mais très vite les autres anches le rattrapent dans une transe africaine avec une belle cohésion d’ensemble de ce little big band.

Marre fait un solo à la Stormy Weather auquel les saxes remettent de l’ondulation pour "Hymn To Breath" de François Raulin.

L’Afrique Du Sud conserva bien plus tard que les Etats Unis, en plus de la ségrégation, les vieux styles musicaux : le Swing (souvent appelé Jump, les country coon shows (noirs grimés en noirs pour faire rire les blancs).

Mais McGregor y ajouta la révolte du Free, l’ouvrit à la Great Black Music funk compris avec aujourd’hui le comique de cabaret dans le saxophone alto et ténor se renvoyant les ascenseurs/élévateurs pédestres!

Le triptyque se termine avec,  «Chris McG », écrite par Didier Levallet  à la mort de Chris McGregor pour le Tentet reprenant sa musique qu’il a dirigé en 1992.

« Country Cooking »  fut le titre éponyme du dernier album du Brotherhood Of Breath à la fin des années 80s. En effet cela sent bon la Country de la Nouvelle Orléans  et le Barbecue préparé en famille par la batterie, cymbale, charley et caisse claire et les saxos à l’unisson apportant la touche Africaine, puis chacun partant en fanfare,apportant successivement une autre voix jusqu’au solo de trombone de Mathias Mahler sur les blues riffs des autres, puis l’éclat de la trompette de Vankenhove derrière lequel les saxos jouent les fonds sonores.

Raulin sort une petite « mbira dzavdzimu » (piano à pouces à lamelles africain) pour "Mbira", joue de la claire lune ronde de sa forme et du tremblement limpide de ses lamelles, ajoutant cette authenticité ethnique et acoustique et la curiosité de cet instrument, repris par le solo de contrebasse de Levallet juste sur le bas de ses cordes comme un cordophone africain (la contrebasse a aussi ses ancêtres Africains : guembri d’Afrique du Nord ou berimbau d’Angola et du Brésil), puis sur le haut des cordes à la Mingus et tout repart de plus belle sur la trompette de Vankenhove.

Plus traditionnel Africain que l’original dans cette version (un des titres plus « américains » de McGregor), ce morceau  rend plus compte des improvisations retrouvant ce côté ethnique dans l’interprétation.

Revenu au piano, Raulin y est plus funky et de plus en plus festif, retrouvant l’esprit de la composition originale, suivi d’un solo à la Bird Africanisé de l’alto, tandis que Corneloup danse sur un pied avant quatre riffs amenant un petit solo de ténor repris au vol par l’alto puis la basse, et reprise en fanfare collective dans "Joe's Jicka" de Dudu Pukwana.

Raulin et Levallet laissent Corneloup seul avec la rythmique  presque Dub/drum’n’bass de Simon Goubert pour une sorte d’Afro Biguine. Quand il joue à son maximum, Corneloup me rappelle toujours sa version des « Papillons Noirs » de Django Reinhardt sur un bon jase de batterie de Denis Fournier  dans le second volume du Paris Musette () où je me suis demandé pour la première fois sans savoir son nom qui était ce fou furieux du rythme et du souffle partant valser son jazz jusqu’au free, l’amplifiant comme une section ou un Rahsaan Roland Kirk taxiphonant avec deux saxos dans la bouche à lui tout seul!

Il se révèle aussi dans ce contexte de l’Heritage un soliste extraordinaire et tout-terrain, fin, lyrique, puis de plus en plus puissant quand Goubert tape de plus en plus fort sur sa batterie, finit par s’envoler et atterrit en Afrique sur la piste d’atterrissage que lui coulisse la sourdine de Mahler au trombone. 

Marre se mire dans le crâne dégarni de Vankenhove, bugle un riff acidulé, puis les saxos reprennent leur tangage à peine troublé par les trombones free !

C’était "Kutwasi Lhobo", composition de Dudu Pukwana, un des saxophonistes Sud Africains de McGregor obligé de s’exiler d’Afrique Du Sud en Angleterre pour avoir monté un orchestre mixte avec des blancs et des noirs, mais ils y jouèrent avec les free jazzmen anglais!

Suit « Maxine », une magnifique ballade Ellingtonienne de Chris McGregor dédiée à sa femme qui le suivit dans cet exil, (ici reprise par Harry Beckett, un de ces trompettistes anglais qui a joué avec lui), avec le timbre chaleureux du bugle de Michel Marre sur les magnifiques fonds sonores et une magnifique intro de piano Tristanienne (Raulin a joué Lennie Tristano avec Stéphane Oliva en sextet) en piqué, puis du tranchant de la main sur l’extrémité droite du clavier puis la contrebasse de Levallet, suivi d'"MRA" de Chris McGregor la batterie et le trombone de Jean Louis Pommier, tandis que Corneloup ralentit en staccato sur quelques cris free de l’alto et que les trombones remontent de plus en plus comme des éléphants, suivis des trompettes et de la batterie seule.

Simon Goubert commence son solo sur les rutilances et résonances de la cymbale du haut, qu’on croirait presque être un de ces gongs dont on joue à Bali ou dans les processions du Nouvel An Chinois à Macao ou ailleurs. Puis il descend sur la cymbale charley, et sur la grosse caisse actionnée du pied, frappant de face et de côté le métal.

Les autres reviennent pour "Union Special" qui donne aussi son nom à un groupe de reprises de Chris McGregor, une fanfare dans le style « Funky Blues March » (le thème le plus court, entraînant et gai de McGregor) avec Marre au cornet à la trompette en si bémol de poche et Mahler en coulisse libre, repris par Marre, le piano, la batterie et les saxos en fanfare de plus en plus vite sur la caisse claire avec un effet de comique ambulatoire irrésistible.

Raulin les présente sur toute la gamme : Michel Marre trompette en si bémol, ou ré si et do.

Ils terminent par "Sonia (Mongezi Feza)" de Dudu Pukwana un bis  aux trombones comiques de Pommier et Mahler tandis que Marre joue de la trompette et que Goubert fait rebondir ses baguettes sur ses toms et que les saxos et le piano restent lents sur la contrebasse mais bien rythmés d'une pulsation toute Sud-Africaine. Un saxo joue dans son genou comme sourdine et chacun s’ébat en des growls du New Orleans au Free Jazz tout en gardant le rythme Sud Africain. Mahler fait l’aigu, Pommier la basse, Raulin n’est  pas loin d’un ragtime sud Africain sur la contrebasse, les  temps fortement marqués des uns permettant aux autres des improvisations libres!  

Bref, la beauté de cet orchestre est de permettre à la fois l’expression individuelle et collective, tour à tour seul, soutenu par les autres ou les soutenant.

Pour ceux qui n’ont jamais vu le Brotherhood Of Breath, cet Heritage est une occasion unique!

La Saison Jazzdor continue après le Festival avec Samedi 14 Janvier le pianiste  Roberto Nègro et son Trio Dadada avec Emile Parisien au saxophone et Michele Rabbia à la batterie et aux percussions au Fossé des Treize à 20 h 30

Jean Daniel BURKHARDT

Photos  Patrick Lambin